NOTRE DEUXIÈME CERVEAU, LES FIBRES, ET LA SANTÉ DE NOTRE PREMIER CERVEAU
C’est au tour de la psychiatrie nutritionnelle d’insister sur l’importance de la nutrition dans le maintien de la santé mentale et de la fonction cognitive. Après la découverte des effets positifs des acides gras oméga-3 et des polyphénols (antioxydants), elle accentue maintenant l'influence des FIBRES ALIMENTAIRES sur les processus cérébraux. Pourquoi ?
L’AXE MICROBIOTE-INTESTIN- CERVEAU
La réalité de l'axe microbiote-intestin-cerveau ne peut plus être ignorée. Cet axe consiste en une communication bidirectionnelle entre le système nerveux central et le système nerveux entérique (de l’intestin) par le biais du microbiote. Le microbiote interagit avec le système nerveux central en régulant la chimie du cerveau et en influençant les systèmes neuroendocriniens associés à la réponse au stress, à l'anxiété et à la fonction de mémoire.
QU’EST-CE QU’UN MICROBIOTE SAIN ?
Un microbiote sain, c’est 100 000 milliards de bactéries qui ont toutes besoin de manger pour être en santé. Leur alimentation provient des fibres que nous consommons, et qui se retrouvent plus ou moins intactes, selon leur qualité, dans l’intestin.
On doit parler de fibres solubles – celles des fruits et des légumes – et de fibres insolubles – celles des céréales entières, des légumineuses, des racinages.
Les fibres céréalières insolubles (blé, avoine, seigle, etc.) sont celles qui améliorent la résistance à l'insuline et qui réduisent le risque de développer un diabète de type 2 grâce à leurs propriétés anti-hyperglycémiques.
Plus ces fibres sont abondantes, plus le microbiote est sain. L’insuffisance en fibres produit un microbiote chétif. Dans une étude animale, des souris ont été inoculées avec un microbiote intestinal humain pauvre en fibres. On a observé que suite à la carence chronique en fibres, le microbiote des souris inoculées a alors utilisé les glycoprotéines du mucus du côlon comme source de nutriments alternative. Il s'en est suivi une érosion de la barrière du mucus du côlon avec un accès plus important à l'épithélium et une prédisposition à la colite mortelle. Ainsi chez l'humain, les fibres alimentaires jouent également un rôle de protection pour la barrière intestinale et la santé globale du côlon.
Il existe des preuves considérables, et de plus en plus nombreuses, de l'implication du microbiote intestinal non seulement dans le développement et le fonctionnement normaux du système nerveux, mais aussi dans une série de maladies aiguës et chroniques affectant l'intestin, ainsi que le système nerveux, tout au long de la vie. Par exemple, le syndrome du côlon irritable est maintenant considéré comme un trouble de l’axe microbiote-intestin-cerveau.
NOTRE DEUXIÈME CERVEAU ET LES MALADIES MENTALES
Nous connaissons tous ce vieil adage : « Nous sommes ce que nous mangeons. » Scientifiquement, il serait plus juste de dire que nous sommes ce dont notre microbiote intestinal se nourrit. Par contre, réalité incontournable, il se nourrit de ce dont nous mangeons !
Ainsi une microflore intestinale saine et diversifiée est à la base de la physiologie normale, du développement immunitaire normal, des voies métaboliques et de l'appétit, et, affirment de nombreux chercheurs, même de la régulation du fonctionnement mental et émotionnel normal.
En effet, de nombreuses études très récentes indiquent que la consommation INSUFFISANTE de fibres alimentaires est associée au risque de développer de la dépression. On avance que l'inflammation pourrait être le médiateur du lien entre les fibres alimentaires et la dépression. On sait qu’un régime riche en fibres entraîne une réduction des composés inflammatoires, ce qui pourrait modifier les concentrations de certains neurotransmetteurs qui, à leur tour, pourraient réduire le risque de développer de la dépression.
La confirmation du concept selon lequel une alimentation saine améliore les symptômes dépressifs a été apportée par l'essai SMILES. Dans cet essai, des patients adultes souffrant de troubles dépressifs MAJEURS et ayant une alimentation de mauvaise qualité ont été soumis à un régime méditerranéen accompagné de séances de conseils en nutrition. Ils ont connu une amélioration de leurs symptômes dépressifs par rapport au groupe témoin.
Une autre étude récente (2021) s’est penchée précisément sur l’axe microbiote -intestin -cerveau pour établir qu’il jouait un rôle fondamental dans les troubles psychiatriques et neurologiques.
Les chercheurs ont observé que les patients souffrant de plusieurs troubles psychiatriques (dépression, anxiété) et neurologiques (maladie de Parkinson, troubles du spectre autistique) présentent également des comorbidités gastro-intestinales importantes.
A. Dépression et anxiété
L'anxiété et la dépression sont souvent des états comorbides chez les patients atteints du syndrome du côlon irritable. Ils ont souligné trois types d’études différentes qui suggèrent une causalité :
1. Les transplantations microbiennes fécales déprimées d'humain à rongeur ont induit des comportements dépressifs dans les modèles animaux.
2. L'administration de prébiotiques et de probiotiques à des témoins sains a amélioré l'anxiété et l'humeur ;
3. Les incidences d'épidémies de sous-types d'E coli au Canada et en Allemagne ont conduit à une augmentation des symptômes liés à la dépression et à l'anxiété dans la population touchée.
B. La maladie de Parkinson
Le risque de développer la maladie de Parkinson augmente avec la fréquence des selles et la gravité de la constipation, et il existe une comorbidité significative entre la maladie de Parkinson et les symptômes de type syndrome du côlon irritable. De plus, la constipation est l'une des caractéristiques les plus précoces, apparaissant quelques années avant le dysfonctionnement moteur.
Les premiers symptômes gastro-intestinaux peuvent donc être précurseurs, ce qui fait du microbiote intestinal une source d'information prometteuse pour le diagnostic, le pronostic et, potentiellement, la pathogenèse.
C. Trouble du spectre autistique (TSA)
Outre les principaux symptômes des troubles du spectre autistique (difficultés de comportement social et de communication, comportements répétitifs), les symptômes gastro-intestinaux sont fréquents et
contribuent de manière significative à la morbidité des patients atteints. La gravité des symptômes gastro-intestinaux est fortement corrélée à la gravité des symptômes des TSA, ainsi qu'à l'anxiété et à l'hypersensibilité sensorielle modulées par le microbiote intestinal dans des modèles précliniques. Il faut souligner que la dysbiose intestinale (déséquilibre de la flore intestinale avec baisse importante du nombre de bactéries présentes dans le microbiote) est un symptôme de plus en plus documenté des TSA. Les prébiotiques ont amélioré certains symptômes gastro-intestinaux ; toutefois, associés à un régime d'exclusion (sans gluten ni caséine), ils ont entraîné une réduction significative des scores d'antisociabilité.
VIVE LES PRÉBIOTIQUES !
Un prébiotique est un substrat alimentaire naturel abondant en amidon résistant qui est utilisé de manière sélective par les bactéries du microbiote, et qui confère ainsi de nombreux avantages pour la santé.
Une alimentation riche en prébiotiques est une alimentation qui comporte beaucoup de fibres insolubles, soit de l’amidon résistant. L’amidon résistant se développe quand les céréales à grains entiers, les légumineuses, les racinages, les crucifères sont bien cuits. Aussi appelées fibres alimentaires à haute spécificité, les céréales (particulièrement l’avoine, l’orge et le son de blé) favorisent des changements plus spectaculaires dans la structure des communautés microbiennes que les fibres à faible spécificité (fruits et légumes) par rapport aux communautés microbiennes initiales. Ces fibres offrent une voie prometteuse vers des changements microbiens ciblés, prévisibles et RAPIDES chez différents individus.
Des études ont avancé l’utilité d’incorporer dans son alimentation des algues marines et des champignons qui sont des aliments riches en fibres. Leur consommation régulière a été associée à une diminution des symptômes dépressifs et de la dépression clinique diagnostiquée par un médecin.
LE VRAI BON PAIN FAVORABLE À LA SANTÉ MENTALE
Parlons du facteur neurotrophique dérivé du cerveau (en anglais Brain Derived Neurotrophic Factor—BDNF).
Ce facteur présent dans le cerveau et dans la périphérie, joue un rôle important dans le développement normal des neurones et dans LA MÉMOIRE À LONG TERME. Les fibres alimentaires peuvent indirectement augmenter les niveaux de BDNF circulant par le biais d'une modification du microbiote qui s’enrichit des bactéries saines Prevotella.
Une étude a montré que chez des sujets sains, un repas du soir composé de pain de seigle à grains entiers a augmenté les niveaux de BDNF plasmatiques de 27 % à jeun le lendemain matin, par rapport au pain de blé blanc. La consommation du même pain pendant trois jours consécutifs a été associée à une plus grande abondance de Prevotella par rapport au pain de blé, et le genre Prevotella était positivement associé aux niveaux plasmatiques de BDNF. (L'entérotype de l'espèce Prevotella est associé aux régimes riches en glucides complexes tandis que les personnes qui consomment de grandes quantités de protéines sont plus susceptibles de posséder un entérotype de l'espèce Bacteriodes potentiellement pathogène.)
CONCLUSION
Nous devons comprendre l'importance d'un microbiote intestinal sain. Cela est particulièrement impérieux pour les patients souffrant d'anxiété et de dépression, car la dysbiose et l'inflammation du système nerveux central sont associées à des causes potentielles de maladie mentale. Il est intéressant de noter que des études ont montré que les prébiotiques (aliments végétaux) et les probiotiques (micro-organismes vivants ajoutés à certains aliments) atténuaient efficacement les symptômes d'anxiété et de dépression, « de la même manière que les médicaments conventionnels délivrés sur ordonnance ».
Je vous invite donc à revoir votre vision du microbiote intestinal. Il n’est pas une masse bouillonnante de
microbes. C’est un organe à part entière dont notre santé et notre bien-être physique et mental dépendent absolument.
© 2022 Danièle Starenkyj
RÉFÉRENCES
• Thomas M. Barber et coll., The Health Benefits of Dietary Fibre, Nutrients, octobre 2020.
• Olivia G. Swann et coll., Dietary fibre intake and its associations with depressive symptoms in a prospective adolescent cohort, Br J Nutr, mai 2021.
• Anna N. Ligezka, A systematic review of microbiote changes and impact of probiotic supplementation in children and adolescents with neuropsychiatric disorders, Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry, juin 2021.
• Qiming Tan et coll., , Probiotics, prebiotics, synbiotics, and fecal microbiota transplantation in the treatment of behavioral symptoms of autism spectrum disorder: A systematic review, Autism Research, septembre 2021.
• Andrew M Taylor et coll., A review of dietary and microbial connections to depression, anxiety, and stress, Nutr Neurosci, mars 2020.
• Olivia Swann et coll., Dietary fiber and its associations with depression and inflammation, Nutr Rev, mai 2020.
• Kirsten Berding et coll., Going with the grain: Fiber, cognition, and the microbiota-gut-brain-axis, Exp Biol Med (Maywood), avril 2021.
• Aroa Lopez-Santmarina et coll., Potential Use of Marine Seaweeds as Prebitocs : A Review, Molecules, février 2020.
• Danique La Torre et coll., Dietary fibre and the gut-brain axis : microbiota-dependent and independent action, Gut Microbiote, septembre 2021.
• Thomas M. Barber et coll., Dietary Influences on the Microbiota-Gut-Brain Axis, Int J Mol Sci, mars 2021.
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